Prévenir ses parents d’un mal et les cas où la médisance est permise
Question :
Une jeune fille de France questionne :
Lorsqu’une personne voit sa sœur persister dans un péché, lui est-il permis de le révéler à leurs parents ?
Résumé de la réponse :
Il n’est généralement pas permis de dévoiler les péchés d’autrui, même ceux de ses proches, car cela relève de la médisance, sauf en cas de nécessité légitime. Parmi les cas permis : demander justice, prévenir d’un mal, chercher un avis religieux, avertir contre un danger ou identifier quelqu’un dans un but licite. Si une sœur persiste dans un péché malgré des conseils doux et répétés, et que le silence risque d’aggraver la situation, il est permis d’en informer les parents à condition que cela soit fait avec sincérité, discrétion et pour corriger le mal, sans exagération ni mauvaise intention. Toute démarche doit viser la réforme, non la vengeance.
Réponse :
Wa ‘alaykoum as-salām wa rahmatoullāh wa barakātouh,
Ma fille, qu’Allah vous récompense pour votre souci du bien et de la réforme, et qu’Il vous accorde la sagesse et la fermeté dans le conseil.
De manière générale, il n’est pas permis de dévoiler les péchés des gens, même ceux de nos proches, sauf en cas de nécessité légitime. Le Prophète ﷺ a dit : « Celui qui couvre un musulman (en dissimulant ses fautes), Allah le couvrira dans ce bas-monde et dans l’au-delà. » (Mouslim, n° 2580).
En effet, dévoiler les pêchers de son frère ou sa sœur en Islam relève de la médisance qui est un grand péché. La médisance consiste à évoquer un frère musulman en son absence par des propos qu’il détesterait entendre, même si ce que l’on dit est vrai.
D’après Abou Hourayrah (qu’Allah l’agrée), le Messager d’Allah ﷺ a dit : « Savez-vous ce qu’est la médisance ? » – Ils dirent : « Allah et Son Messager savent mieux. » – Il dit : « C’est le fait d’évoquer ton frère en des termes qu’il détesterait. » – On lui demanda : « Et si ce que je dis de mon frère est vrai ? » – Il répondit : « Si ce que tu dis est vrai, tu as médit de lui. Et si ce n’est pas vrai, tu l’as calomnié. » (Mouslim, n°2589)
Allah ﷻ a dit dans sourate Al-Ḥoujourāt (49), verset 12 :
وَلَا يَغْتَب بَّعْضُكُم بَعْضًا ۚ أَيُحِبُّ أَحَدُكُمْ أَن يَأْكُلَ لَحْمَ أَخِيهِ مَيْتًا فَكَرِهْتُمُوهُ ۚ وَاتَّقُوا اللَّهَ ۚ إِنَّ اللَّهَ تَوَّابٌ رَّحِيمٌ
(Sourate Al-Ḥoujourāt, verset 12)
{ Et ne médisez les uns des autres. L’un de vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ? Cela vous répugnerait assurément ! Craignez Allah, car Allah est Grand Accueillant au repentir, Très Miséricordieux.}
Le Prophète ﷺ a dit : « QLors de mon ascension, je suis passé auprès d’un groupe de gens qui avaient des ongles de cuivre avec lesquels ils se griffaient le visage et la poitrine. – J’ai dit : “Qui sont ces gens-là, ô Jibrîl ?” – Il répondit : “Ce sont ceux qui mangeaient la chair des gens et portaient atteinte à leur honneur.” » (Abou Dawoud, n°4878 ; authentifié par al-Albani dans Ṣaḥiḥ Sounan Abi Dawoud)
Le Prophète ﷺ a dit : « Le colporteur de paroles (nammām, celui qui propage les paroles pour semer la discorde) n’entrera pas au Paradis. » (Al-Boukhari, n°6056 ; Mouslim, n°105)
Les savants classent la médisance parmi les formes de nammīmāh lorsqu’elle vise à nuire à autrui ou à briser des liens.
Cependant, il y a des situations dans lesquelles la médisance est permise voir obligatoire.
Le Ḥāfidh An-Nawawī – qu’Allāh lui fasse miséricorde – au début du chapitre intitulé « Les cas où la médisance est permise », dans son ouvrage célèbre Riyāḍ aṣ-Ṣāliḥīn (Le Jardin des vertueux) dit :
“Sache que la médisance (al-ghība) devient licite dans certaines situations légitimes et valables, dans lesquelles il n’est pas possible d’atteindre l’objectif souhaité sans y recourir. Ces cas où la médisance devient permise sont au nombre de six :
1. Le premier cas : adresser une plainte ou une requête en justice. Il est permis à celui qui subit une injustice de s’adresser à l’autorité compétente – qu’il s’agisse d’un gouverneur, d’un juge ou d’un responsable – afin d’obtenir réparation, en disant par exemple : « Untel m’a lésé ou a commis une injustice à mon égard. »
2. Le deuxième cas : solliciter de l’aide pour faire cesser un mal ou une transgression, et ramener son auteur à la raison. Il est permis de dire à celui auprès duquel on sollicite l’aide : « Untel fait ceci ou cela, réprimande-le afin qu’il cesse. » À condition que l’intention soit réellement d’empêcher cet acte répréhensible ; autrement, cela devient interdit.
3. Le troisième cas : demander un avis juridique (fatwā). Il est permis de dire au muftī : « Mon père, mon frère, mon époux (ou toute autre personne) m’a fait du tort ; a-t-il le droit d’agir ainsi ? Quelle est la solution légale pour que je sois protégé(e) de cette injustice et que mes droits me soient rendus ? »
Il est certes préférable, lorsque cela est possible, de poser la question sous une forme anonyme, comme : « Que dis-tu d’une personne ou d’une femme ou d’un homme qui ferait ceci ou cela ? » Ainsi, l’objectif est atteint sans désigner la personne. Néanmoins, il demeure permis de la mentionner clairement lorsque cela est nécessaire, comme cela sera expliqué plus loin dans le hadith de Hind, si Allāh le veut.
4. Le quatrième cas : mettre en garde les musulmans contre un danger potentiel et leur donner un conseil sincère. Cela comprend plusieurs cas, comme le fait de critiquer ou discréditer un transmetteur de hadiths ou un témoin, ce qui est permis, voire obligatoire, selon le consensus des musulmans lorsque cela est nécessaire.
Il en va de même lorsqu’on est consulté sur quelqu’un dans le cadre d’un mariage, d’un partenariat, d’un dépôt de confiance, ou d’une relation sociale ou de voisinage.
Dans ce cas, il ne faut pas dissimuler ce que l’on sait, mais au contraire mentionner les défauts avérés de la personne concernée, par souci de conseil sincère. Cela inclut également le fait d’avertir un étudiant en sciences religieuses lorsqu’il fréquente un innovateur (mubtadi‘) ou un pécheur notoire, et qu’il y a crainte pour lui.
Il est alors permis de l’alerter sur les agissements de cet individu, à condition que cela se fasse dans le seul but de le conseiller. Il est vrai que celui qui conseille peut être influencé par sa propre passion ou par des suggestions diaboliques, croyant agir pour le bien alors que ce n’est pas le cas. Il convient donc d’être extrêmement vigilant à ce sujet.
Il est aussi permis de signaler l’incompétence ou les fautes graves d’une personne à son supérieur, si elle ne s’acquitte pas correctement de sa tâche – que ce soit par incompétence, déviation, négligence ou autres raisons – afin qu’il prenne les mesures nécessaires : remplacement, rappel à l’ordre, etc.
5. Le cinquième cas : mentionner les vices ou les innovations de celui qui les commet ouvertement, comme celui qui boit du vin en public, vole les gens, impose des taxes illégales ou exerce la tyrannie. Il est permis de mentionner ses fautes évidentes, sans en inventer d’autres, sauf nécessité religieuse prouvée.
6. Le sixième cas : désigner quelqu’un par un signe distinctif lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen pour l’identifier, comme dire : le borgne, le boiteux, le sourd, le muet, etc. Cela est permis tant que ce n’est pas fait avec moquerie ou dérision. Il est néanmoins préférable d’utiliser un autre moyen d’identification si possible.
Ces six situations ont été mentionnées par les savants, qui sont pour la majorité unanimes à leur sujet. Elles s’appuient sur des hadiths authentiques bien connus.” Fin de citation.
Pour revenir à votre cas, si le péché est répété, connu, et que la personne ne se repent pas, il devient alors permis, voire obligatoire dans certains cas, d’en parler à quelqu’un qui peut agir pour y mettre fin, comme les parents, à condition que cela respecte certaines règles.
1- Si le péché est persistant, et que vous avez déjà tenté de conseiller gentiment votre sœur sans effet.
2- Si les parents sont capables d’intervenir avec sagesse, sans causer plus de tort.
3- Si l’intention est pure : chercher la réforme et non pas la vengeance ou le dénigrement.
4- Si le silence entraîne un mal plus grand, pour votre sœur ou pour d’autres.
Dans ce cas, il est permis d’informer les parents, comme le mentionne An-Nawawî رحمه الله, qui a dit : “La médisance est permise pour atteindre un objectif légitime, comme avertir contre un mal, obtenir justice, ou corriger une erreur.” (Sharḥ Sahīḥ Mouslim, 18/118).
En revanche, il ne sera pas autorisé d’en parler si c’est par simple envie de colporter ou par colère, ou si cela cause plus de mal que de bien. Il ne faut pas non plus exagérer ou ajouter d’informations non confirmées.
Dans ce cadre, il est bon de rappeler que le musulman est responsable de ses frères et sœurs en religion, et qu’il doit ordonner le bien et interdire le mal, comme Allah ﷻ l’a dit dans le Coran :
كُنتُمْ خَيْرَ أُمَّةٍ أُخْرِجَتْ لِلنَّاسِ تَأْمُرُونَ بِالْمَعْرُوفِ وَتَنْهَوْنَ عَنِ الْمُنكَرِ وَتُؤْمِنُونَ بِاللَّهِ
(Sourate Âl ‘Imrân, verset 110)
{ Vous êtes la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les gens : vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable, et vous croyez en Allah. }
Et Allah ﷻ dit également :
وَالْمُؤْمِنُونَ وَالْمُؤْمِنَاتُ بَعْضُهُمْ أَوْلِيَاءُ بَعْضٍ ۚ يَأْمُرُونَ بِالْمَعْرُوفِ وَيَنْهَوْنَ عَنِ الْمُنكَرِ
(Sourate At-Tawbah, verset 71)
{ Les croyants et les croyantes sont alliés les uns des autres. Ils ordonnent le bien, interdisent le mal… }
Ainsi, prévenir ses parents peut entrer dans ce cadre si l’on cherche sincèrement à corriger la situation et non à blâmer injustement. Mais cela doit se faire avec sagesse, discrétion et proportion, en évaluant s’il y aura un réel bénéfice et aucun préjudice plus grand.
Avant d’en parler aux parents, tentez de raisonner votre sœur en privé, avec douceur, compassion et en invoquant la crainte d’Allah. Dites-lui que si elle persiste, vous serez contrainte d’en parler à vos parents par devoir religieux, non par envie de l’humilier.
Qu’Allah vous accorde clairvoyance, douceur et sagesse, et qu’Il guide votre sœur vers le repentir et la droiture.
Toutefois, Allah ﷻ est Le plus savant.
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